Dati bibliografici
Autore: Anna Pegoretti
Tratto da: Le Paysage allégorique. Entre image mentale et pays transfiguré
Editore: Presses Universitaires de Rennes, Rennes
Anno: 2011
Pagine: 125-139
L'étude du paysage dans la Divine Comédie de Dante attend toujours une approche systématique et une claire définition de ses limites. L’usage délicat d’un concept aussi moderne que celui de «paysage littéraire», comme du reste le terme méme de «paysage», constitue un premier problème . De fait, il semble convenable d’admettre d’emblée que des termes comme «paysage», «paesaggio» et «landscape» dans un discours sur le Moyen Age ont quelque chose d’anachronique. Ils n'existaient tout simplement pas et nous ne rencontrons aucune occurrence de «paesaggio» dans l’oeuvre de Dante ou dans la littérature italienne jusqu'à Filarète . Il est dès lors nécessaire de dire que notre propre discours sur le paysage (et notre usage de ce terme) comprennent l’Autre Monde du poème à la fois sous la forme d’un espace géographique global — les trois règnes tels qu'ils sont congus dans l’environnement physique de la terre et de l’univers — et sous la forme de simples fragments de celui-ci, traversés par le pèlerin et décrits par l’auteur. Il sagit là d’un usage général du terme, renvoyant simplement à un espace narratif, un «espace impliqué dans la construction du monde de la fiction è strictement parler ».
En outre, il faudrait aussi préciser que l’Au-delà constitue un genre très particulier de paysage, ou plus largement, d’espace: il pourrait méme étre considéré comme paysage allégorique par excellence. Toute description de lui est de fait, inévitablement de l’ordre de la fiction, fondée sur des archétypes, des modèles et images fortement influencés par notre expérience personnelle et collective, par un environnement culturel que les chercheurs ont à charge de restituer . La complexe construction cosmologique de Dante, cependant, ne semble pas se réduire à une simple fagade poétique, un integumentum signifiant quelque chose d’autre; c'est plutòt un des plus importants éléments de la construction d’une forte affirmation idéologique et prophétique.
Cette question, comme Alexander Murray le signale brillamment — n'a somme toute guère de sens, non parce que personne ne connaît la réponse, mais bien parce que la perception de l'espace a changé au cours de l’Histoire. La bonne réponse, en l’occurrence, devraient étre une autre question: «qu’entendez-vous précisément par le mot “où” ?» Un des changements majeurs de la perception de l'espace est intervenu durant ce qu’on a appelé la «Renaissance du douzième siècle» et le Moyen Age tardif, quand «les gens devinrent plus conscients de l'espace, plus “euclidiens” dans leur approche du monde ». La question, donc, trouve sens dans le contexte de la connaissance et de la perception contemporaine de l'espace, et Dante y a répondu en btissant une étonnante architecture.
Le Purgatoire de Dante est une montagne incroyablement haute sur une île au milieu de l’océan dans l’hémisphère sud. À sa base est la plage — le «lito deserto» (Purg. I, 130) —, sur les pentes, il y a des degrés, au sommet, le Paradis Terrestre. Dans l’histoire du locus purgatorius, c'est là une nouvelle solution, chronologi- quement proche de l’instauration d’un «lieu intermédiaire» en tant qu'espace dans la spéculation théologique è la fin du XIe siècle, et de la proclamation méme du dogme concernant l’existence du Purgatoire en 1274 . L’innovation, soit dit en passant, marque l’ensemble de la construction cosmologique du poème et le distingue de toute description antérieure de l’Au-delà.
La situation précise des lieux de l’Au-delà dans la cosmologie contemporaine ne semble pas donner naissance à des débats parmi les théologiens. Thomas d’Aquin mentionne juste l’opinion de Grégoire le Grand selon lequel l'Enfer pourrait étre sous terre: «Gregorius dicit in 4 Diaolog., quid obstet non video, ut «infernus sub terra esse credatur.» Il cite ensuite la Glossa interlinearis sur Jonas, 2 («projecisti me in corde maris»):
«idest, in Inferno», pro quo dicitur in Evangelio Matth, 12, 40: «in corde terrae»;
quia sicut cor est in medio animalis, ita Infernus esse in medio terrae perhibetur .
La situation souterraine de l’Enfer, est après tout très vraisemblable dans une cosmologie fondée sur le principe de verticalité: méme l’étymologie d’infernus révele qu'il doit étre inferior . Albert le Grand développe une théorie complexe sur l’Au-delà, mais il ne traite de la situation spatiale des lieux de l’Au-delà qu'en ce qui concerne leur position relative: près du Ciel il y a les Limbes des Patriarches, ensuite le Purgatoire, les Limbes des enfants, et l’Enfer, de plus en plus éloignés de Dieu . Rien ne dit où ils se trouvent physiquement . Ce manque de description précise n'implique pas que les théologiens dominicains envisageaient des lieux sans étendues, non plus qu'une ame déliée de toute dimension spatiale, comme dans la théologie moderne : cela signifie simplement que ce n’était pas un problème crucial. De leur point de vue, la préoccupation majeure concernait l’organisation interne de la société de l’Au-delà et la hiérarchie des ames.
La littérature visionnaire, en revanche, présente généralement un environnement spatial, méme réduit , surtout dans les récits de voyage: le voyage demande un espace à traverser, un itinerarium . Dans la littérature eschatologique populaire antérieure à Dante nous rencontrons — ainsi, dans le Purgatoire de St Patrick — la tentative de localiser les portes de l'Autre Monde. En ce qui concerne la structure intérieure cependant, les descriptions sont confuses et l’espace incertain: en général, les personnages visitent une suite discontinue de champs sans confins, de grottes effrayantes ou de cités d’or, se mouvant essentiellement par des voies incertaines et miraculeuses .
Les représentations picturales de l’Au-delà manifestent le méme manque d’une claire topographie. Comme Baschet, par exemple, le souligne, l’iconographie classique du Jugement Universel a survécu méme durant le XIVe siècle, après la diffusion du poème de Dante et la représentation pionnière par Buffalmaco d'un Enfer structuré et clairement réparti, au Camposanto de Pise . Méme le plus important et le plus célèbre Jugement universel du temps de Dante, celui que Giotto a peint à Padoue, quoiqu’il soit certainement, au moins pour certains détails, une des possibles sources picturales du poème , offre l’iconographie traditionnelle de l’Enfer comme un trou sombre dans lequel il est possible de distinguer un groupe de pécheurs et au milieu une zone glacée, mais rien de plus.
De ce point de vue, la représentation graphique globale des trois lieux que nous pouvons trouver méme dans les plus anciens manuscrits de la Comédie, semble particulièrement intéressante . Quoiqu’elle soit directement inspirée de la description du poème lui-méme, nous pouvons aussi en restituer quelques sources visuelles. Si les cartes de l’Enfer et du Purgatoire n’ont aucun terme de comparaison, les cartes du Ciel ont des précédents dans les représentations astronomiques, explicitement scientifiques. Quelques tàtonnements dans les premiers schémas du Ciel révèlent l’usage de telles sources et la tentative d’adapter la cosmologie de Dante aux traités d’astronomie les plus connus de l’époque, qui contenaient un grand nombre de schémas . Nous ne pouvons écarter le fait que l’usage d’une source scientifique pour donner une représentation visuelle d’un lieu traversé par le personnage de ce que nous considérons comme un récit complètement fictif (paradigmatiquement fictif puisqu'il parle de quelque chose qui est impossible à voir) est extrémement stimulant, tout comme les essais de mesurer l’Enfer de Dante, qu'on rencontre dans ce qu'on appelle l Ottimo commentaire du Trecento et le Dialogo circa al sito, forma et misura dello ‘nferno, d’Antonio Manetti. Le problème était si sérieux que le père de la méthode scientifique — Galileo Galilei, âgé de vingt-quatre ans — donna deux legons à ce sujet en 1587 et 1588. Elles ne ressemblent pas à une conversation plaisante au sujet une ceuvre littéraire. Bien plutòt, l'incipit de Galilei fait précisément l’éloge de cet essai prodigieux de Dante pour décrire ce que personne n’a vu, quelque chose dont l’existence dans les entrailles de la terre est cependant indiscutable:
maravigliosa deviamo noi stimare l'investigazione e descrizione del sito e figura dell’Inferno, il quale, sepolto nelle viscere della terra, nascoso a tutti i sensi, è da nessuno per niuna speranza conosciuto [...]. Per lo che era necessario, allo spiegamento di questo infernal teatro, corografo ed architetto di più sublime giudizio, quale finalmente è stato il nostro Dante: onde se quelli [scil. Platon] che sì accortamente svelò la mirabil fabbrica del cielo e sì esquisitamente disegnò il sito della terra, fu reputato degno del nome di divino, nor doverà già il medesimo nome essere, per le già dette ragioni, al nostro Poeta conteso .
La structure mise en place par Dante est par conséquent pionnière. Le Purgatoire, comme le dernier-né des lieux de l’Au-delà , est particulièrement révélateur, et en premier chef'à cause de son emplacement géographique attentivement dessiné. Quoique l’on affirme parfois le contraire, l’invention d’une montagne extrémement haute aux antipodes ne relève guère de la fantaisie ; il s'agit là au contraire d'une résolution lumineuse du problème de l’emplacement du Paradis terrestre . En outre, la construction interne des lieux de l’autre monde repose sur une complexe architecture et présente un chronotope précis, plausible tant du point de vue théologique que géographique . Cependant, le lieu intermédiaire est le seul qui soit à la surface de la terre et qui présente un milieu atmosphérique comparable à celui du monde habité; du coup, la description ne manque jamais d’étre assez «réaliste».
D'un autre còté, cette vraisemblance n’empéche pas le poète d’exploiter large- ment le symbolisme biblique , riche en échos pour le public médiéval . La plage du Purgatoire offre un parallélisme parfait avec le paysage éminemment allégorique d'Inf. I, en particulier, la «piaggia diserta» (I, 29) où se déplace le pèlerin plein d’effroi, alors qu'il vient d’échapper à un lieu de danger (le «passo / che non lasciò già mai persona viva», II, 26-27), décrit comme un bois sombre et comparé à la mer dangereuse. En lisant les trois premiers chants du Purgatoire, au contraire, nous comprenons qu'il s'agit d'une grande plage semée de joncs sur le rivage au pied de la montagne, très difficile à gravir. Le tableau est dés lors très différent de la représentation impressionniste d’Inf. I, avec sa «selva oscura», sa vallée indécise achevée par une colline sans contours, et sa «piaggia diserta» entre le bois et la colline. Les raisons de cette différence doivent étre trouvées essentiellement dans la consistance purement allégorique du prologue du poème et dans les changements notables du style poétique auxquels nous assistons dans les tout premiers chants. Paradoxalement, la description de l’Au-delà est concrète, tandis que celle de la vie personnelle de Dante avant le voyage est exclusivement allégorique et morale, avec des éléments de paysage qui sont des métaphores du désordre, du désespoir et de la peur. La possibilité de gravir de nouveau la montagne de vertu et de pénitence, manquée dans la première scène du poème, soffre encore au début du Purgatoire gràce à la vision des tourments infernaux (l’«altro viaggio» que Virgile propose A Dante en Inf. I, 91). Entre les deux chants il y a à la fois l’Enfer tout entier et l'Inferno comme réalisation poétique.
Une autre qualité intéressante du paysage du Purgatoire est de se présenter comme «paysage liturgique ». En fait, il se donne d’emblée comme cadre d’une suite d’images rituelles: les quatre étoiles symbolisent les vertus cardinales, et la couleur du ciel est comparée à un «oriental zaffiro» plein d’échos sacrés. Dans ce cadre, le pèlerin passe à travers le bain baptismal avec les embruns de la mer (dans le calendrier du poème, c'est le matin de Pàques). L’architecture interne du Purgatoire lui-méme (les sept terrasses), est ensuite présentée comme un édifice, une église avec ses chants liturgiques, ses choeurs, ses rites, et méme des bas-reliefs, congus et réalisés par le supréme architecte, le Deus artifex. De la première terrasse, Dante donne méme une mesure, qui permet de la visualiser:
da la sua sponda, ove confina il vano,
al piè de l'alta ripa che pur sale,
misurerebbe in tre volte un corpo umano
(Purg. X, 22-24).
Nous n’'avons donc pas è faire à un paysage naturel ou contingent, mais à une sorte d’église gothique médiévale, une des plus incroyables réalisations de Dieu, répondant parfaitement au discours du Livre de la Sagesse: «omnia mensura et numero et pondere deposuisti» (Sap. 11, 21).
Le choix d’une montagne comme emplacement du Purgatoire a de nombreuses raisons: tout d’abord — comme Le Goff le souligne — ce choix incarne parfaitement la logique interne de la pénitence et de la purgation, qui implique une montée progressive vers Dieu . Ensuite, il a d’importants précédents dans la tradition des montagnes sacrées de la Bible. Comme le Dieu judéo-chrétien est au Ciel, les montagnes sont souvent présentées comme le lieu privilégié de rencontre avec Lui, du Sinai au mont Tabor, ou à Sion, où se trouve Jérusalem, et surtout, le Temple . Dans la cosmologie de Dante, le Purgatoire est exactement opposé à Jérusalem, et précisément à Sion, comme aussi au Golgotha. Le système des vices et des vertus qui régit ce règne tout entier renvoie quant à lui au fameux sermon de Jésus sur les Béatitudes et è la montagne où Il l’a prononcé. Nous pourrions aussi mentionner la Tour de Babel et le Mont des Oliviers, mais ce qui nous intéresse ici, c'est que le mont du Purgatoire combine, par analogie ou par contraste, tous ces sens symboliques. Davantage, la montagne aux sept terrasses représente parfaitement un symbole clef dans la vision chrétienne du monde: l’échelle sainte qui apparaît à Jacob dans la Genèse (Ger., 28 ). De fait, méme si l’échelle de Jacob est explicitement mentionnée et gravie par le pèlerin dans le Ciel, entre la sphère de Saturne et le ciel des Étoiles Fixes, il est possible de dire que l'image de l’échelle sainte configure l’univers entier de Dante. Le voyage du pèlerin dans son ensemble n'est rien autre qu'une longue montée de la terre è Dieu, et l’Au-delà est une sorte d’escalier qui part du monde habité (espace du péché, et lieu le plus éloigné de Dieu), traverse le centre de la terre, et monte jusqu’au Paradis céleste .
Le paysage du Purgatoire est essentiellement rocheux et la pierre, dont la montagne est faite, domine la scène. Nous avons è faire, une fois de plus, à un symbole biblique qui présente un sens double, positif et négatif . La pierre, en fait, représente la dureté du coeur, le «cor lapideum» de Hez, 11, 19; d’un autre còté, elle recouvre nombre de sens positifs:
quem reprobaverunt aedificantes hic factus est in caput anguli (Ps. 117, 22);
omnis [...] qui audit verba mea haec et facit ea adsimilabitur viro sapienti qui aedificavit domum suam supra petram [...] non cecidit: fundata enim eram super petram . (Mr. 7, 24-25)
Dans ces célèbres métaphores constructives, la pierre est le symbole essentiel de la foi et de la force d’ âme. (Nous pourrions mentionner aussi saint Pierre — Petrus — la pierre de fondation de l'Eglise). Une fois de plus, la montagne du Purgatoire Supporte toutes ces significations: elle symbolise le péché et la dure pénitence, mais C'est aussi la montagne de Dieu, l’autel élevé au Ciel, la pierre d’angle de la foi.
Vraisemblance géographique et signification allégorique semblent dès lors aller de pair à travers le poème. En méme temps, l’affirmation par Dante de la vérité de sa vision prophétique ne peut étre contournée , malgré l’effort des commentateurs anciens (et modernes) pour en atténuer l’impact .
La vraisemblance, à la fois du cadre cosmologique et du paysage singulier que le pèlerin voit durant son voyage, a de nombreuses causes. L’une d’elles est l’atti- tude du poète envers la nature, dont nous pouvons trouver la source dans la philo- sophie chartraine, qui implique la quéte d’une meilleure compréhension des causes naturelles au-delà des explications symboliques et théologiques, en Sappuyant sur une nouvelle idée positive de l'ensemble du vivant. Une autre cause possible est la théorie aristotélicienne et thomiste de la connaissance, selon laquelle «nihil est în intellectu quod non sit prius in sensu ». Pour citer Patrick Boyde, Dante cherche:
à guider et instruire ses lecteurs par la présentation vigoureusement condensée et déraillée de l’expérience sensorielle, souvent sous la forme de comparaisons concrètes et d’exemples pris de la vie de tous les jours .
Du exemple point de vue du pèlerin comme du lecteur, l’Au-delà de Dante est en fair un exemple littéraire particulier et partiellement original de «l'espace spatialisé» de Merleau-Ponty : il n'est pas présenté ou expliqué au commencement du t poème, mais on le connaît seulement durant et è travers le récit du voyageur, à travers ses descriptions et les expressions déictiques dont il use. Le point de vue est centré sur le sujet — Dante-le-pèlerin son propre — qui fait l’expérience d’un espace à travers son propre corps et ses sens de manière assez réaliste. (Dans un tel contexte, le ròle joué par les schémas, comme éléments du paratexte n'est pas à sous-estimer: ils apportent au lecteur une vue synchronique de l'espace du voyage et de la route avant qu'il ne au commence la lecture).
En outre, certaines des comparaisons entre les éléments de l’Au-delà (méme ceux qu’on nous a dit incomparables ) et ceux de la terre, sont particulièrement révélatrices d’un sens aigu de la nature telle qu'on la connaît dans la vie ordinaire . Nous pourrions citer les comparaisons entre la montagne du Purgatoire et la còte ouest de la Ligurie:
Noi divenimmo intanto a piè del monte;
quivi trovammo la roccia sì erta,
che ‘ndarno vi sarien le gambe pronte.
Tra Lerice e Turbìa la più diserta,
la più rotta ruina è una scala,
verso di quella, agevole e aperta
(Purg. III, 46-51);
La description du lever de soleil:
Dolce color d'oriental zaffiro
l'alba vinceva l'ora mattutina
che fuggia innanzi, sì che di lontano
conobbi il tremolar de la marina
(Purg I, 115-7 )
Mais aussi deux fameuses comparaisons de l'Inferno:
Quante ’l villan ch'al poggio si riposa,
nel tempo che colui che 'l mondo schiara
la faccia sua a noi tien meno ascosa,
come la mosca cede a la zanzara,
vede lucciole giù per la vallea,
forse colà dov'e vendemmia e ara:
di tante fiamme tutta risplendea
l'ottava bolgia [...]
(Inf XXVI, 25-32 );
piovean di foco dilatate falde,
come di neve in alpe sanza vento
(Inf XIV, 29-30).
Nous pourrions en citer bien d’autres. Dante, ainsi, fait preuve d’une expérience profonde de différents paysages et les décrit méme de manière émotive. (C'est la raison pour laquelle on trouve des citations de la Commedia dans un nombre étonnant de sites partout en Italie).
L'expérience de tous les jours, les connaissances scientifiques et le symbolisme, donc, contribuent également à l’invention et à la description d’un paysage très particulier, hésitant entre son caractère radicalement inconnaissable et ce qui fait de lui réellement l'espace de l’éternité. Le fait que le chronotope et l'image du cosmos soient tous deux vraisemblables et hautement significatifs sur le plan symbolique est dù è l’attitude médiévale qui voit tout l’univers comme la création de Dieu. Dans cette structure idéologique, non seulement l'espace géographique est orienté par l’éthique — pour étre précis il est investi d’un sens avant et indépendamment de toute tentative humaine de représentation — mais l’éthique elle-méme a une représentation géographique, précisément parce qu'elle informe toute chose. La conséquence est que «e voyage d’une personne en enfer ou au ciel est toujours pensée en termes géographiques ». Le voyage de Dante est concu comme un pèlerinage et le Purgatoire est l’épreuve matérielle et spirituelle à traverser. Le plus frappant demeure que, selon la vue typologique médiévale de l’histoire et de la vie humaine , un pèlerinage terrestre peut seulement annoncer le voyage réel de l’àme vers Dieu, tandis que Dante le pèlerin réalise exactement ce voyage-là. Dans le cadre médiéval chrétien, en fait, la vie dans l’au-delà est la vie réelle et éternelle, au point que, «dans la mesure où la vie terrestre est transitoire et sujette à la corruption, tandis que le ciel est incorruptible et éternel, [...] la “matérialité” du ciel est bien plus réelle ». Néanmoins, cette matérialité de l’expérience n'est atteinte que gràce à une ascension progressive de l’échelle éthique et ontologique, doublée d'un mouvement qui part des signes anticipateurs (figurae) pour aller vers leurs accomplissements éternels: ce genre de relation typologique régit les rapports entre vie terrestre et Au-delà . De ce point de vue, la prétention de Dante semble encore plus étonnante, et la construction spatiale du poème s'avère une part essentielle d’une proposition prophétique et fortement idéologique . Dans la Comeédie, de fait, Dante dessine une «carte», grande, complexe, de la terre et du cosmos, une carte que les bouleversements économiques et politiques, les découvertes géographiques et les récits de voyage rendront très bientàt dépassée.