Dati bibliografici
Autore: Jean Pépin
Tratto da: Dante et la tradition de l'allégorie
Editore: Vrin, Paris
Anno: 1970
Pagine: 119-124
Parmi les personnages, épisodes, réalités de nature historique que Dante soumet à l’exégèse allégorique, il faut mettre au premier rang le contenu de la Bible. La matière, ici, est si vaste qu’on ne peut qu’en parcourir quelques exemples, choisis tout au long de la chronologie biblique. On a d’ailleurs déjà vu plusieurs applications de cette allégorie: toutes celles auxquelles Dante recourt pour illustrer ses exposés théoriques du Convivio, II, 1 et de l’Épître à Cangrande; parmi les textes bibliques ainsi commentés, il y a lieu de rappeler le récit de Matth., XVII, 1-9 sur la Transfiguration, et surtout le Ps. CXIII: In exitu Israel de Egipto. Ces exemples, ajoutés à ceux que l’on va examiner maintenant, montrent en Dante un continuateur de l’allégorèse patristique.
On sait la place que tiennent dans la Comédie le paradis terrestre, et plus encore le paradis céleste; or l’un et l’autre, outre leur réalité concrète (attestée notamment par leur topographie), ont une valeur symbolique, ordonnée à la double fin de l’homme: le premier figure (per terrestrem paradisum figuratur) la béatitude de cette vie, définie par l’opération de nos vertus propres, tandis que le second donne à entendre (per paradisum celestem intelligi datur) la béatitude de la vie éternelle, faite de la jouissance gracicuse de la vision de Dieu (Mon., III, 16, 7). Dans le paradis terrestre, l’arbre de la connaissance est lui aussi une figure : au sens moral, on doit reconnaître en lui la justice de Dieu dans sa forme prohibitive (la giustizia di Dio, ne l’interdetto, | conosceresti a l’arbor moralmente, Purg., XXXIII, 71-72); et les considérations qui, dans le discours de Béatrice, précèdent ces deux vers attestent qu'il s’agit bien d’allégorie : elle reproche en effet è Dante, au lieu de percer le sens profond des symboles, de se satisfaire de leur surface chatoyante, comme est le mùrier coloré du sang de Pyrame (Purg., XXXIII, 67-69).
La Monarchie, Il, 7, 5-6 offre un exemple d’exégèse allégorique du Lévitique, XVII, 3-4, où il est prescrit d’offrir è Dieu, devant la porte du tabernacle, tout animal immolé. Dans cette disposition légale, Dante voit l’affirmation que, pour le salut, les bonnes oeuvres sont subordonnées è la foi; car, dit-il, la porte du tabernacle, ainsi qu'il ressort de l’Évangile (Jean, X, 7-9), figure le Christ, cependant que l’immolation des animaux désigne les oeuvres humaines.
Il était traditionnel, à l’époque de la Comédie, de donner pour symboles de la dualité entre la vie active et la vie contemplative deux couples de saintes femmes de la Bible: Lia et Rachel, l’une et l’autre femmes de Jacob, pour l’Ancien Testament (Gen., XXIX, 9-30), et Marthe et Marie, les deux hotesses de Jésus, pour le Nouveau (Luc, X, 38-42). On observe la présence de ce double symbolisme notamment chez Grégoire le Grand , à qui saint Thomas d’Aquin le rapporte quand il le prend lui-méme à son compte . Dante se situe sans aucun doute dans la postérité de ces auteurs, à ceci près qu’il ne réunit pas comme eux les deux couples de symboles, mais les emploie tour à tour. Dans le Purg., XXVII, 97- 108, Lia apparaît en songe à l’auteur, pour lui dire que son plaisir à elle est de travailler de ses mains à s’embellir, tandis que celui de Rachel est de se regarder tout le jour dans son miroir: lei lo vedere, e me l’ovrare appaga; on reconnaît, à peine voilée, la dualité classique des deux vies. Quant à Marthe et Marie, leur valeur symbolique est reconnue expressément dans le Conv., IV, 17, 9-11; après avoir rappelé, selon l’Évangile, l’attitude de chacune des deux soeurs et l’appréciation portée par Jésus, Dante en amorce l’exégèse allégorique par une formule sans équivoque: Che se moralemente ciò volemo esponere..., et y découvre l’idée que, si la vie active est bonne, la vie contemplative est excellente .
Avec Marthe et Marie, on a déjà quitté l’ancienne Alliance pour la nouvelle. Une autre page du Convivio (IV, 22, 14-18) soumet è l’allégorie l’épisode évangélique relatif à trois autres femmes du nom de Marie, qui, allant au sépulcre, n’y trouvèrent pas le corps du Sauveur, mais un ange resplendissant (Marc, XVI, 1-8; Matth., XXVIII, 1-7). «Si nous voulons bien regarder» ce récit, écrit Dante, il nous enseigne à rechercher comme supréme la béatitude de la vie contemplative; car les trois femmes donnent à entendre les trois sectes de la vie active, à savoir les épicuriens, les stoiciens et les péripatéticiens ; elles vont au monument, c’est-à-dire au monde corruptible, et y cherchent sans résultat le Sauveur, autrement dit la béatitude; l’ange est la noble raison divine; s'il envoie les femmes dire aux disciples que Jésus les précédera en Galilée, cela signifie que la béatitude sera en avant de nous dans la vie contemplative; car Galilée veut dire blancheur, ce qui correspond à la clarté propre à la contemplation. Cette page étonnante réunit plusieurs des caractères de l’allégorèse patristique, tels que l’artifice du lien établi entre le sens obvie du texte et la signification qu’on lui suppose, la mobilisation des moindres détails de l’épisode pour les faire servir à l’interprétation d’ensemble, le recours à l’étymologie, etc.; le fait est d’autant plus notable que l'on ne connaît pas, pour cette longue allégorie, de véritable source dans la littérature ancienne; à peine peut-on signaler qu’Hugues de Saint-Cher a déjà vu dans les trois femmes la figure des étudiants qui abordent l’examen de l'Écriture , et qu’Isidore de Séville a déjà rattaché la Galilée au mot ϒάλα et à l’idée de blancheur . Un autre exemple de l’allégorie néotestamentaire telle que la pratique Dante est offert par la Monarchie, III, 9. L’objet est ici un texte de Luc, XXII, 38, où, répondant à Jésus qui leur conseillait d’ache- ter un glaive, Pierre et les disciples déclarent qu’ils en ont deux. Les adversaires guelfes de l’auteur voyaient là l’indice que les deux gouvernements, le temporel autant que le spirituel, sont entre les mains de Pierre et de ses successeurs; contre cette interprétation, Dante élève deux objections : d’abord, elle ne répond pas aux intentions du Christ, qui n’a pas parlé de deux glaives, mais d’un nombre indéterminé, de douze probablement; d’autre part, l’Évangile montre par quantité de traits que Pierre avait accoutumé de répondre tout à trac, en restant à la surface des choses (de more subito respondebat ad rerum superficiem tantum); parlant des deux glaives, il usait donc d’une «intention simple», ce qui revient à dire qu'il n’avait pas de dessein allégorique (Mon., III, 9, 1-17). Cette critique de l’allégorie intempestive rejoint celle que l’on a déjà vue dans le méme traité (Mon., III, 4, 6-12). Néanmoins, Dante ne récuse pas ici toute interprétation figurée (Quod si uerba illa Christi et Petri typice sunt accipienda,...), sous réserve qu’elle s'accorde au texte de Matth., X, 34 opposant le glaive à la paix; dans cette perspective, la dualité des glaives de Pierre signifierait simplement celle des paroles et des oeuvres (Mon., III, 9, 18-19) .