Dati bibliografici
Autore: Pierre Mandonnet
Tratto da: Dante le théologien
Editore: Desclée, de Brouwer et cie, Paris
Anno: 1935
Pagine: 177-185
Y a-t-il sous le symbole de Dante un ou plusieurs sens? Il faut distinguer entre l’objet symbolique et le discours de Dante relatif au symbole. Le symbole peut avoir jusqu'à trois significations mais pas davantage. Mais les paroles de Dante dans chaque proposition ne comportent qu’un seul sens figuré .
Cette remarque nous amène à parler des quatre sens traditionnels (sens littéral, plus trois sens figurés) que Dante a appris des théologiens à considérer dans une écriture.
C'était un héritage qui venait de loin et remontait surtout à saint Jéròme, la grande autorité biblique. Jéròme n'est pas toujours d’accord avec lui-méme en cette matière, ni saint Augustin avec saint Jéròme. Le moyen Age avait en somme accepté le fond de cette méthode qui cherchait à reconnaître quatre sens possibles à l’Ecriture Sainte. Nous avons déjà entendu saint Thomas les placer à còté des modes et les énumérer. Il revient d’ailleurs sur cette méme question dans ses ceuvres postérieures, en cherchant à y introduire un peu de précision . Dante, de son còté, a parlé assez au long des quatre sens selon lesquels on peut interpréter une écriture et cela dans le Convivio et la lettre à Can Grande . Pour le fond, c’est-à-dire pour définir séparément chaque sens, Dante et saint Thomas sont d’accord. Ils le sont aussi en cela que, cherchant à mettre un peu d'ordre logique dans cette énumération, ils n'y parviennent que difficilement ; parce qu'il s'agit ici d'une matière que l’usage a distribuée pratiquement et qui ne l’est pas logiquement. On pourrait évidemment se servir de la théorie de Dante exposée dans la lettre pour l’opposer à celle du Banquet ; je crois qu'on en conclurait seulement que Dante est un peu embarrassé ; car on pourrait opposer Dante à lui-méme avec la seule doctrine du Convivio qui n’est pas très cohérente.
Dans cette question il importe plus d’avoir sous les yeux ce que Dante a mis en pratique dans la Comédie, que la théorie du Convivio, qui est notablement antérieure au Poème, et que celle de la lettre qui est très superficielle et très brève dans ses explications, et cela volontairement.
Pour Dante, comme pour saint Thomas, le premier sens est le sens littéral, ou historique , C'est celui qui résulte directement des expressions de l'’auteur, qui vise à traduire immédiatement sa pensée, c’est-à-dire la chose signifiée.
Au sens littéral, qu'on pourrait appeler le sens direct, et qui exclut toute idée ultérieure, s’oppose le sens allégorique. C'est celui qui, de sa nature, porte l’esprit vers l’intelligence d’une chose, objet ou idée, autre que le sens propre et matériel de l’expression .
Le sens moral, dit aussi sens tropologique, est celui qui, comme son nom l’indique, se réfère à un objet de la science des moeurs, c’est-à-dire aux actes libres de l'homme, en tant que bons ou mauvais .
Le sens anagogique concerne exclusivement ce qui se rapporte à la béatitude céleste, ou à la gloire divine . Saint Thomas et Dante, trouvant l’énumération des quatre sens assez décousue, ont cherché à en falre une sorte de classification méthodique. Ils ont placé, sous le sens Uttéral, les trois dermers sens en un groupe qualifié de sens spirituel. On a ainsi le sens littéral qui a sa signification directe, mais qui à l'occasion est susceptible d’étre rapporté à l'un ou à l’autre des trois sens spirituels et méme à tous à la fois . Cette classification n'est pas de tous points satisfaisante, et il ne faudrait pas aborder avec elle l'étude de la Comeédie, où l’auteur est très logigue dans ses procédés.
En réalité le sens littéral doit étre opposé au sens allégorique, ou plus exactement, pour prendre un terme que saint Thomas nous a fourni incidemment dans le texte déjà cité du Commentaire des Sentences, au sens symbolique. Le sens lttéral, en effet, est celuì qui signifie par la lettre, sicut ditiera sonat, comme disent les grammairiens. Quant à la lettre, elle peut signifier directement de sa nature l’objet de la pensée de l’auteur, ou le signifier indirectement, sì l'auteur se sert d'images et de figures qui ne contiennent pas en elles-mémes la chose signifiée, mais y renvoient ou l’évoquent, plus ou moins manifestement, à raison d’un rapport d’analogie entre la figure et la chose signifiée. Dans ce cas, il y aura le sens littéral du symbole et le sens signifié, qui peut bien étre appelé, si l'on veut, un sens spirituel, parce que c'est un sens indirect et que plus ordinairement il désigne une chose d'ordre spirituel, mais pas nécessairement, sì ce n'est en théologie . Ainsi, quand au début de la Comedie Dante se sert de trois fauves pour désigner les trois grandes passions humaines, le sens littéral vise les animaux eux-mémes, et le sens du symbole vise les passions de l'homme. Il y a donc toujours deux sens, si l’on peut s'exprimer ainsi, dans l'usage du symbole; le sens littéral du symbole et le sens symbolisé.
On peut, suivant le cas, considérer la lettre du symbole, ou le sens du symbole, comme prenant la première place, c’est-à-dire le sens matériel des mots ou leur sens formel. Absolument parlant, c'est le sens du symbole qui est le plus important, puisque le symbole n'a pas de raison d’exister pour lui-méme, mais seulement pour ce qu'il veut traduire et faire connaître. Le symbole est essentiellement, par nature, instrumental, véhiculaire, ancillaire. La chose signifiée existe au contraire pour elle-méme, elle est la fin, ou le but, dans cette manière de s’exprimer. Mais on peut envisager aussi la chose autrement. La volupté de la chair, symbolisée par la panthéère, est bien le principal, si l'on se met au point de vue de la science des moeurs, ou de la finalité morale de la Comédie ; mais il n’en est plus de méme, si l'on se place au point de vue poétique, parce que l'objet propre de la poésie est de créer des fictions, de beaux mensonges, comme nous avons entendu Dante nous le déclarer. C'est pourquoi il dit que les théologiens prennent le sens allégorique autrement que les poètes . Pour les poètes, l’objet principal de leur art est la création des symboles, et saint Thomas en convient pour ce qui regarde la poésie . Mais pour le théologien, le principal n’est pas le revétement extérieur de la chose signifiée, mais la chose elle-méme .
Le symbolisme implique donc toujours deux choses: le symbole et la signification du symbole. Le symbole est de sa nature apte è signifier n’importe quel ordre d’objets, ou d’idées, tout comme le sens littéral non symbolique. L’un et l’autre peuvent s’appliquer à une matière théologique, ou à une matière profane, c’est-à-dire à chacune des soixante dames de Dante, puisque entre elles se répartit l’objet des connaissances humaines .
Le sens moral et le sens anagogique peuvent, en conséquence, étre traduits par le sens littéral direct, ou par l’intermédiaire de symboles. On ne peut donc pas les mettre de préférence sous l’un plutòt que sous l’autre de ces deux régimes. Enfin ces deux sens, alnsi que cela découle de ce que nous avons dit, ne peuvent pas donner une division adéquate de ce qui est susceptible de prendre place soit sous le sens littéral, soit sous le symbole.
Qu’on nous pardonne ces observations qui peuvent paraître des subtilités, ou des propos super flus. Il fallait étre clair pour pouvoir entendre ce que nous allons dire de la Comédie et ne pas se heurter à des équivoques. Dans son Poème, Alighieri ne s'est pas strictement conformé, ou mieux limité à la théorie des quatre sens qu’il a donnée dans le Convivio, ou dans la lettre à Can Grande, mais dans le sens de la théorie rectifiée que nous venons d’indiquer. Il traite par le sens littéral et le sens figuré n’importe quelle matière théologique, ou philosophique. Mais, parce qu'il est poète, le symbolisme prend en surface la part principale; et sì sous le symbole le sens moral embrasse toute la matière de l’Enfer et du Purgatoire, et le sens anagogique le contenu du Paradis, néanmoins la matitre dogmatique de la théologie, et la matière spéculative de la philosophie qui ne trouvent pas de place dans les quatre sens traditionnels, paraissent largement dans la Comédie. Saint Thomas, auquel cette lacune des quatre sens n'a pas échappé du point de vue théologique, l’a comblée, dans l’article XV de son VIIe Quodlibet, par une division fort ingénieuse, qu’il n’a d’ailleurs pas reproduite dans la Somme théologique . Dante n'a pas rectifié sa théorie, pas méme dans la lettre à Can Grande; mais il s’est comporté dans la Comédie, comme s’il avait connu et appliqué les indications de saint Thomas d'Aquin, ainsì que nous aurons l’occasion de le constater.